jeudi 5 septembre 2013

Chronique des coeurs brisés.


J'ai de la chance.
Tellement de chance que j'en ai honte.
J'ai trouvé un beau matin l'amour de ma vie au pas de ma porte, et c'était bien.

J'aime entendre les amis qui me disent "t'as tellement de chance, toi, c'est facile avec le Roi, vous êtes le couple idéal."

Non.
On est pas le couple idéal, et c'est pas facile.
On s'engueule pas, oui, ou très peu, et jamais pour des sujets importants. On rigole beaucoup, on parle beaucoup tout les jours. On s'aime.
Mais non, c'était pas facile, ce n'est facile pour personne.



Ce n'était pas facile pour moi parce que je n'ai jamais laissé personne entrer dans ma vie, réellement.
Parce que je n'ai jamais laissé personne poser sa valise à côté de la mienne, fouiller dans mes placards, manger ma nourriture, aimer mes chats.

Parce que je me méfie des hommes, que je me méfie de leur capacité à m'abandonner, que je déteste la solitude et que je sais que je serai prête à me sous-louer pour ne pas être seule.
Et qu'une compagnie qu'on achète avec du cul vaut moins que tout.
On ne fait pas confiance aux gens à qui on se loue.
On ne les aime pas, on les apprécie peut-être, on s'attache sans doute, mais on les laisse à l'écart.

La solitude.
La solitude.
La main froide qui erre sous la couverture la nuit, qui enserre la poitrine, qui arrache tout dans le ventre, entre les côtes, qui éventres les rêves.
La solitude, contre laquelle on ne peut rien.
Rien à part se louer.
Et s'emmurer.
Dans une solitude encore plus grande.



C'était pas facile à cause de l'angoisse.
Parce que j'ai peur qu'on m'abandonne, parce que j'ai mal dans le coeur, tout le temps, que le monstre dans mon ventre me mange le coeur tout les jours.
Et que personne ne peut supporter ça.
Personne ne peut supporter mon angoisse constante, ma froideur, mon bouclier de cynisme.
Personne ne peut supporter de me prendre dans les bras quand je hurle, quand je pleure, quand j'ai peur pour rien.
Personne ne peut être là, tout le temps.

Et j'ai peur.
J'ai peur qu'on m'enlève tout ce que j'ai.
J'ai peur que mes chats meurent, j'ai peur qu'on me vole mes livres, j'ai peur qu'on me casse ma guitare, j'ai peur.
Je peux pas m'attacher.
Parce que tout ce que j'aime, on me le prend.



Pour le Roi c'est pas facile.
Parce qu'il n'est pas assez bien.
Parce qu'on ne lui a jamais dit qu'il pouvait l'être.

Parce qu'il n'a pas le droit de toucher, de revendiquer son droit à être aimé.
Parce qu'à force d'être là et de s'en prendre plein la tête il a arrêté de penser qu'on pouvait faire autre chose que l'utiliser.
Se résigner.

Parce qu'il ne se trouve pas bien, pas beau.
Parce qu'il ne sait pas s'aimer lui même.
Parce qu'il a peur, désespérément peur, qu'on le laisse.
Parce qu'il a besoin de savoir que quelqu'un est là.

Et que personne ne peut être là, tout le temps.
Personne.



Il aura fallut que deux solitudes, deux désespoirs, se tendent l'un vers l'autre pour que la toile se tisse doucement, se resserre, et qu'on puisse y écrire "je t'aime".

Facile?
Non.

Des heures, des heures, de discussions, des heures à s'apprivoiser.
Des heures à se tester, à se comprendre.
Ma méfiance. Ma méfiance redoublée par une année à ne faire que de la merde, à me louer à n'importe qui d'un peu amical pour ne pas sombrer dans le gouffre sans fond de la solitude et de la dépression.
La peur du monstre, encore une fois plus fort que moi.

Des heures à s'apprendre, à retrouver des échos de soi dans l'autre.

Et finalement, commencer à se sentir bien.
Ne plus penser à la solitude parce que doucement elle s'efface, remplacée par de la substance de rêve, bien trop réelle.
Penser différemment, apprendre que être avec un autre ce n'est pas forcément de la dissimulation, et des combats de chaque instant pour prouver qu'on est à la hauteur, mais qu'une personne peut aussi nous apprécier pour ce qu'on est, sans aucun fard.

Apprendre même l'impensable, découvrir qu'on peut montrer tout, absolument tout les pans de son âme, et que l'autre ne nous frappera pas en plein dedans, ne nous fera pas mal, ne nous blessera pas.




Oui.
Oui, je peux t'aimer pour ce que tu es et pas pour ce que je veux que tu sois.
Je peux t'aimer malgré ton coeur déchiré, malgré ta dépression, malgré tes angoisses, malgré tes doutes, malgré tout.
Je peux t'aimer même si tu as eu envie de te supprimer, même si tu rêves de crever, même si tu n'aime rien d'autre que tes livres et tes chats, même si tu es en colère, même si tu es jalouse.

Parce que c'est pas grave.
Non, vraiment, c'est pas grave.
Je t'aime pour autre chose.
Je t'aime parce que tu es toi, parce que tu es forte, parce que j'aime parler avec toi, que je te trouve belle, parce que tu es merveilleuse à mes yeux.

Je ne veux pas que tu changes.
Si tu changes je serai triste.
Parce que tu es ce que j'ai de plus précieux à mes yeux.




Laisser l'autre prendre ton coeur brisé dans ses mains en tout confiance.
Prendre le sien.
Avec tout ce qu'il a de peur, de douleurs et de traumas.

Et on me dit que c'est facile?

Pour la dernière fois, ce n'est pas facile.

C'est évident, mais pas facile.
On s'est enfermé dans un cocon protecteur, avec l'autre en point central, les chats autours, les livres en périphérie, et on n'en sort que pour faire ce qu'on aime.
On se nourrit l'un de l'autre, dans une sorte d'équilibre basé sur des apssions communes et des découvertes individuelles.

C'est très difficile.
Mais notre plus grande peur est de se perdre.
Et nous sommes de grands traumatisés.
Incapable de se faire du mal. Et incapable d'en jouer.

Combien de temps ça va tenir?
On recouds jour après jour les batteries de nos âmes, alors ça peut tenir l'éternité.



Comment est-il possible d'exprimer la reconnaissance quotidienne qui m'anime tout les jours lorsque je me rends compte ce que je tiens dans mes mains.
L'amour. Le vrai. Celui qui ne ment pas.

Je ne m'y fait pas.
Chaque jour depuis neuf mois, je me pince tout les matins en me levant, parce que je ne pensais pas avoir autant de chance.
Le jour où je cesserai d'avoir de la reconnaissance, de remercier tout les dieux, alors je perdrais ce privilège.
Je ne le possède que parce que je ne le tiens pas pour acquis, et je le sais.
On le sait tout les deux.

Rien que pour ça, c'est pas facile.

Mais on est bien.
On est heureux.
Et je pensais que ce mot n'existait que pour obliger les enfants à bien bosser à l'école, comme une carotte imaginaire.
Mais c'est possible d'être heureux.




Alors quoi?
Il faudrait que je le hurle?
Non, j'ai trop peur de le perdre pour le hurler au monde.

Il faudrait que je stigmatise ceux et celles qui se louent pour ne pas être seuls?
Comment le pourrais-je?
Comment pourrais-je lancer des pierres à ceux qui cherchent à ne pas être seuls?
Juger?
Pourquoi?
J'en ai fait tellement pour ne pas être seule. Je serai allée très loin pour qu'on ne me laisse pas. Pour que mon lit ne soit pas vite.
Je me serai détruite pour ne pas crever de solitude.

Je n'y croyais pas.
Je ne croyais pas pouvoir vivre ça.
Et maintenant que je le vis, je n'y crois toujours pas.
Ceux qui sont seuls, maintenant, qui n'y croient pas, qui n'ont personne pour partager leur solitude, j'aimerai les prendre dans mes bras, leur donner tout l'amour qui déborde de moi, tout l'amour qui irradie, qui me brûle, pour leur redonner courage.

J'aimerai vous le dire.
Vous êtes beaux.
Soyez vous même.
Soyez gentils.
Ne vous détruisez pas, ne vous louez pas.

Il y a des gens qui vous méritent.
Ce sont des gens que vous, vous méritez.
Ca sert à rien de se faire passer pour ce qu'on est pas, la personne qui vous aime vous aimera même le dimanche matin avec la bouche qui pue, les dessous de bras qui puent, et les yeux qui collent.



Parce qu'on ne vous aimera pas pour ce que vous croyez.
On vous aimera pour votre façon de sourire, pour les bêtises que vous dites, pour votre sérieux, votre folie, votre collection de pins pokemon, et tout un tas de choses intimes qui vous font vous.

On vous aimera sans condition, sans vous demander de changer.
On vous aimera des pieds à la tête, même pas épilés, pas lavés, plein du vomis de la veille.
On vous aimera comme vous méritez qu'on vous aime, comme vous avez rêvé qu'on vous aime.

Et croyez moi.
Tout le reste n'en vaut pas la peine.